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Je suis heureux de vous laisser lire le premier chapitre de "Raphaël" mon dernier roman, sorti il y a déjà plusieurs mois.

 

Chapitre 01

Raphaël…

 

Depuis maintenant plusieurs jours, sans toutefois pouvoir s’en expliquer les raisons, Raphaël avait l’étrange sensation que quelque chose ne tournait pas rond. Ce sentiment l’angoissait d’autant plus que son quotidien était rempli d’anachronismes et parfois, même, d’une joie proche de la plénitude. C’était un peu comme dans ces rêves agréables qui nous rappellent la réalité, et dont on est l’un des acteurs. Soudain, un objet, une personne, un évènement nous précipite dans le doute, simplement parce qu’il se trouve là où il ne devrait pas être, parce qu’une situation nous paraît illogique. On se réveille avec des images qui nous poursuivent jusqu’au soir et nous obsèdent.

Pour l’heure, Raphaël regardait au loin, les yeux fixés sur l’horizon, l’âme égarée au milieu de ses pensées, de ses souvenirs d’hier, de ses espoirs de demain. Était-ce la réalité ? Lui, le pensait. D’ailleurs pourquoi en aurait-il douté ?

 

Face à la mer, il sentait les embruns que le vent jetait sur son visage à peine éveillé. Il aimait à venir s’assoir, là, s’y sentir si petit devant l’immensité, sous le ciel à peine éclairé par l’astre de vie. Tout semblait tellement vivant avant que l’endroit ne se peuple de touristes, de badauds venus profiter des jours chauds de l’été, des premières lueurs de l’aube de l’hiver.

Ses nuits s’étiraient mollement, le livrant corps et âme à sa propre solitude ; des nuits vides de tout, sans le moindre véritable songe. Ses rêves, il les faisait lorsqu’il était éveillé, sur ce banc installé au sommet d’une colline qui dominait le paysage. Parfois, il s’imaginait au bras de quelqu’un qui viendrait partager avec lui ce moment délicieux de contemplation. Il rêvait de ne plus ouvrir les yeux, le matin, sans âme qui vive à ses côtés dans ce grand lit froid aux draps rêches comme l’est la solitude.

Au loin la mer se jetait dans le ciel, à moins que ce ne soit le ciel qui se jetait alors dans les eaux mouvementées, ou calmes. De temps à autre il apercevait un bateau glissant sur l’onde, perdu dans les vagues argentées. À bien y regarder, il constatait que des formes animaient la scène : il s’agissait de plaisanciers, de pêcheurs. Des mouettes survolaient l’espace, libres. Soudain l’une d’elle plongeait, fendant l’air de ses ailes. L’oiseau s’approchait de la mer pour la caresser du bout de son bec, puis il remontait aussi vite, emportant avec lui un poisson inconscient du danger, qu’il avalait en s’élevant dans les airs.

Alors que le soleil avait commencé à poindre depuis peu, il regarda le va-et-vient d’un cerf-volant soulevé par la brise. Un enfant s’amusait, riait, alors qu’un couple le regardait et l’écoutait en train de s’époumoner. Soudain, le cerf-volant alla s’écraser contre les dunes de sable blond. Il connaissait bien cette petite famille. Les parents étaient instituteurs, au

village. Elle, s’occupait des tout-petits ; lui, d’une classe composée de cours moyens première et deuxième année. Benjamin, leur enfant, venait souvent rendre visite à Raphaël pour l’entendre raconter des histoires. Ils étaient voisins. Soudain Raph se rappela que ces gens étaient partis depuis deux bonnes années. Que faisaient-ils ici, ce n’était pourtant pas les vacances scolaires ? Etaient-ils venus passer quelques jours ? Il est probable qu’il l’aurait su. Il se dit qu’il devait se tromper, que sa vue baissait, que cet homme, cette femme et l’enfant qui les accompagnait, étaient sans doute d’autres personnes.

À quarante-cinq ans, Raphaël n’avait pas eu la chance de connaître les joies de la paternité.

Autrefois, il ne se sentait guère capable d’assumer pleinement une vie familiale. Il avait alors choisi de privilégier sa carrière. Et puis, avec le temps, il s’était laissé convaincre que son activité professionnelle, qui au demeurant l’enrichissait, ne lui permettait pas de concilier les deux : famille et travail. Raphaël écrivait des contes pour enfants. Il les accompagnait de superbes dessins qu’il créait lui-même. Ce qu’il aimait avant tout, c’était se laisser aller à la rédaction de romans policiers. Malgré sa notoriété, il continuait à vivre simplement. Certains disaient même qu’il vivait chichement.

Souvent mal rasé, le teint pâle, il remettait toujours à plus tard le moment d’aller chez le coiffeur. Il détestait qu’on lui triture les cheveux. D’ailleurs, il ne supportait tout simplement pas que des inconnus le touchent.

Il s’était réfugié dans son propre monde depuis maintenant des années ; jamais très éloigné de la réalité, mais suffisamment loin pour ne pas être happé par la civilisation.

Parfois, lorsqu’il se regardait dans un miroir, il découvrait un fil argenté au niveau de ses tempes, un nouveau sillon au coin de ses yeux. Cela ne l’effrayait pas. Il se contentait de songer aux années à venir, se disant qu’il serait peut-être temps pour lui d’entreprendre des démarches pour rompre avec sa solitude.

Son regard impressionnait tellement il était profond, céruléen.

Depuis combien de temps n’avait-il pas fait de rencontre amoureuse ? Il avait cessé de compter. Les femmes lui faisaient peur, on pourrait même dire qu’il les fuyait.

Autrefois, il croyait vouloir connaître les joies de la vie à deux, avant de se rendre compte que la vie de couple n’était pas faite pour lui. Enfin, pour être exact, on le lui avait fait comprendre !

Raph était égoïste, terriblement centré sur sa petite personne. De plus, il était d’une mauvaise foi sans nom. Certain de détenir la vérité, il considérait que c’était les autres qui avaient tort. Il avait été un enfant gâté, entouré, aimé, dorloté. Plus tard, il avait rencontré trop jeune, une demoiselle à laquelle il croyait s’être attaché. Désormais, lorsqu’on le regardait aller, de loin, si seul, on aurait pu penser qu’il était plus âgé. Le poids des jours semblait peser sur ses épaules. La nature et la vie lui avaient pourtant tout donné, l’intelligence, le physique, l’argent. Depuis l’âge de vingt-cinq ans environ, son poids avait à peine varié de quelques kilos. Il avait une stature athlétique qu’il cachait sous des vêtements souvent trop amples.

Vers l’âge de trente-sept ans, il avait acquis une petite maison à quelques pas de la mer. C’est là qu’il s’était finalement décidé à venir travailler, pour fuir la ville, les gens, aussi. Avant, il aimait la solitude, il la recherchait, même : mais la solitude ne vaut-elle pas que si elle est désirée ?

– Aujourd’hui sera une belle journée ensoleillée, songea Raphaël en se levant parce qu’une inspiration venait de le sortir de ses songes.

D’un pas lent, il s’éloigna du banc sur lequel il était pourtant resté une bonne heure. Il savait que demain il reviendrait s’y asseoir, qu’il pleuve, qu’il vente, ou qu’il neige. Cela faisait maintenant tellement d’années qu’il y venait. Demain ne serait sans doute pas différent des autres jours.

En s’avançant en direction du village par un petit chemin de verdure tracé à travers un champ, il pouvait entrevoir le clocher de l’église. Le vent de la plaine amena le tintement de la cloche jusqu’à ses oreilles. Machinalement, Raphaël regarda sa montre alors que la cloche terminait d’annoncer huit heures.

En arrivant par la grande rue, il se tordit légèrement une cheville dans un nid-de-poule et pesta contre la voirie : « Bon sang, ce n’est pas la peine de payer tant d’impôts locaux ! ».

Le bobo ne semblant pas bien grave, Raphaël continua son chemin en boitillant.

Il avançait les mains dans les poches, le col relevé.

Il regarda vers le ciel pour considérer le soleil qui maintenant était levé :

– « Oui, ce sera une belle journée ! »

Les rues du village s’animaient. Un cultivateur perché sur son tracteur le salua au passage, l’obligeant toutefois à se mettre sur le côté de la route, pour laisser passer l’engin qui tirait une remorque chargée de fumier encore fumant. Il crut reconnaître un homme qu’il avait connu durant son enfance. C’était un paysan d’un village de la Drôme où il passait autrefois ses vacances scolaires. Les traits de l’homme étaient exactement ceux gravés dans les souvenirs de Raphaël. Cela lui sembla étrange. Il s’agissait peut-être d’un sosie.

Plus loin, quand la senteur nauséabonde du fumier se fut dissipée, une agréable odeur de pains chauds, de croissants, commença à embaumer l’air. Oubliant sa cheville, Raphaël décida d’aller s’installer à la terrasse de l’un des petits cafés du village. Il y venait assez fréquemment, parce qu’il appréciait la compagnie des patrons, un couple de jeunes, venu ici pour élever leurs enfants. Lui était boulanger, alors qu’elle s’occupait du bar.

Durant l’été l’endroit ne désemplissait pas, grâce au camping installé à la sortie du village.

Il n’était pas rare de voir des hommes, ou des femmes en tenue de bain, se promenant dans les rues, venant acheter, qui une baguette de pain, qui un paquet de cigarettes.

Raphaël n’aimait pas vraiment cette population de touristes, mais il fallait bien convenir que ces gens faisaient vivre le village qui, en quelques années, s’était agrandi jusqu’à en perdre son âme : c’est du moins ce qu’il pensait. Il aurait tellement préféré vivre dans un endroit moins peuplé.

Les autres le reconnaissaient du fait de sa notoriété, pourtant jamais on ne venait l’importuner ; sans doute à cause de son côté revêche. Ce n’était d’ailleurs qu’une apparence, un masque qu’il arborait de manière à éloigner les importuns.

Au cours de toutes ces années de solitude, il avait fini par se refermer sur lui-même, petit à petit, sans s’en rendre compte. Disparus amis d’antan, éloignée la famille. Les amours n’étaient qu’illusion, des rêves qu’il caressait sans y croire. De temps à autre, son regard s’accrochait à une jeune femme croisée au détour de sa vie. Cependant, jamais il n’osait l’aborder. Ceux qui ne le connaissaient pas vraiment, et ils étaient nombreux, pensaient à tort que Raphaël avait un tempérament d’ours mal léché.

On ne peut pas dire que dans la région les rumeurs couraient à son sujet. Les gens s’interrogeaient toutefois sur son cas. On savait qu’il était célèbre, bien que ses apparitions à la télévision soient rares. Parfois, il arrivait que son portrait soit imprimé dans les pages de magazines, alors, dans les commerces du village, on se contentait de lire l’article concerné et puis, entre le commerçant et le lecteur on se fendait d’une remarque, jamais vraiment désagréable, d’ailleurs.

Raphaël avait un côté invisible. Oui, à force de se cacher, il en était devenu quasi invisible aux yeux des autres.

Lorsqu’il s’installa à une table de bois à l’abri sous une glycine à peine fleurie, Cécile, la patronne du café, se précipita vers lui en souriant.

– Bonjour Raphaël ! Vous allez bien ce matin ?

– Oui, on fait aller. Je prendrai un café et deux croissants : j’adore les croissants de votre mari.

– Ok, allons-y pour deux croissants et un café…

À peine Cécile se fut-elle retirée que Raphaël se referma ; sans y prendre garde, il avait laissé échapper un sourire qu’il regrettait déjà.

Pendant qu’il fouillait dans l’une de ses poches pour en extirper un morceau de papier blanc et un crayon, afin de faire quelques esquisses, Cécile revenait les mains chargées d’un plateau.

Elle déposa le café et les croissants devant lui en disant :

– Vous nous préparez quoi en ce moment, une histoire pour les enfants, ou un roman policier ? Mon mari aime bien vos romans policiers, il les a tous lus !

– Je termine un roman, juste un roman…

– Ah bon, même pas un roman policier ?

– Non, pas cette fois. Il s’agit juste d’une…

Alors qu’il s’apprêtait à dévoiler l’histoire de son nouvel ouvrage, quelqu’un appela Cécile. Elle s’éloigna immédiatement, sans attendre que Raphaël ne lui révèle le contenu de sa nouvelle fiction.

Durant quelques secondes, il eut le désagréable sentiment d’avoir été laissé en plan, alors que ses mots restaient coincés dans le fond de sa gorge. Il les ravala.

Le café sentait bon. Il faisait beau. Des abeilles venaient virevolter autour de la glycine. Un chien dormait sur les marches d’une maison. Un cycliste entra dans la cour, déposa son vélo contre le mur, et pénétra dans le bar en jetant un petit bonjour à l’attention de Raphaël. Il répondit d’un signe de la tête.

Ce jour d’avril allait être une belle journée ensoleillée. Dans quelques semaines les touristes commenceraient à arriver. Les boutiques de souvenirs reprendraient vie : ce qui annonçait l’été plus sûrement que le soleil lui-même.

Raphaël se laissa glisser sur la pente de ses souvenirs. Une larme coula le long de son visage, silencieuse, solitaire, comme lui. La larme roula lentement sur la joue de l’écrivain. Il la laissa faire, peut-être ne se rendait-il pas compte qu’il pleurait.

Mais sur quoi pleurait-il, sur son sort, sur son passé, sur la perte de quelqu’un, le savait-il lui-même ?

Il porta la tasse à ses lèvres, sans qu’auparavant il n’eut ajouté le morceau de sucre posé sur la soucoupe. Le café avait un goût fort, presque amer. Il avait la saveur boisée de pays dans lesquels Raphaël ne s’était pas rendu. Il faut dire que jamais il ne s’était résolu à s’éloigner de l’Europe, à découvrir d’autres contrées, sans doute parce qu’il avait une peur panique de prendre l’avion. D’ailleurs, seule une obligation professionnelle pouvait le contraindre à quitter sa terre natale.

Tout en avalant une gorgée de son breuvage, il imagina la suite du roman qu’il avait mis en chantier.

Une cinquantaine de feuillets attendait que viennent s’ajouter ces autres pages, qui constitueraient le livre qu’il ambitionnait de faire naître sous sa plume. Il reprenait sans cesse ses écrits, les remaniait, corrigeait des fautes, raturait des lignes entières, les couvrait de palimpsestes, d’annotations. Il ne savait pas vraiment où il voulait en venir ; ce qu’il désirait avant tout, c’était narrer une histoire, celle d’un homme seul, sans doute un peu la sienne.

Il posa la tasse directement sur la table de bois, pensa que cette essence devait être du teck, du moins était-ce un bois riche, correctement entretenu. Il s’amusa un instant avec la cuillère à café. En saisissant le croissant auquel il allait jeter un sort inévitable, il détailla ce qui l’entourait tout en avalant goulûment la viennoiserie. Le second croissant y passerait également, dans quelques minutes.

Une fenêtre donnant sur la cour intérieure où il se trouvait s’ouvrit rapidement, presque violemment.

Une femme secoua un torchon sans même regarder vers le bas. Elle se retira. La fenêtre restée ouverte, permit aux rayons du soleil de pénétrer à l’intérieur, afin de radoucir un peu les pièces que ce début de printemps tardait à réchauffer.

Un air de piano arriva jusqu’aux oreilles de Raphaël. Il crut reconnaître une composition de

Chopin ; sans toutefois en être certain. Sa grand-mère aimait écouter Chopin, elle adorait la musique classique et regrettait de ne pas savoir jouer du piano.

Un jeune homme venait maintenant de s’asseoir à une autre table, dans la cour, sous la glycine. Il regardait à droite, puis à gauche. À peine installé, il se leva de son siège et entra dans le café, en même temps qu’un autre individu, un vieux monsieur dont les traits ressemblaient à ceux d’un ami de ses parents.

– Décidément, se dit Raphaël, on dirait que tous les gens rencontrés dans ma vie ont un sosie… ou alors je rêve !

Alors que la porte se refermait sur eux, le type se tourna en faisant un clin d’œil à Raphaël qui ne se donna pas la peine de chercher à comprendre pourquoi.

Contre un mur de la cour de la brasserie, une trottinette rouge, vieillotte, lui rappela celle de son enfance. Elle lui avait été offerte par son grand-père, pour noël. Il eut un léger sourire en se souvenant.

L’individu entré en même temps que le « sosie » ressortit bientôt du café et reprit sa place à la table, sous la glycine, face à Raphaël.

– Jeune homme, vous perdez quelque chose !

Puisque l’autre semblait ne pas entendre, Raphaël se leva, s’approcha de l’objet tombé à terre, se baissa pour le ramasser avant de le poser sur la table. Il s’agissait d’une petite photographie au dos de laquelle on pouvait lire : Christophe et moi, octobre 2007.

Machinalement Raphaël avait retourné la photo pour constater qu’il s’agissait d’un portrait de deux personnes, le jeune homme lui-même et un autre adolescent. Ils riaient devant l’objectif de l’appareil.

L’inconnu n’avait pas bougé lorsque Raphaël avait posé la photographie sur la table. Il restait figé. De temps en temps il tournait la tête, dans un sens, ou dans un autre, puis retournait à ses pensées.

Raphaël resta un moment sur place, face à lui, dans l’attente d’un remerciement qui n’arrivait pas.

L’individu daigna enfin le regarder.

– Vous aviez laissé tomber cette photo !

– Oh merci, excusez-moi, j’avais la tête ailleurs, fit-il sans même prendre la photo, se contentant de la regarder de loin.

– C’est le moins que l’on puisse dire.

– Encore mes excuses, mais il ne fallait pas vous donner la peine, elle va rejoindre le reste, à la poubelle !

– Si vous le dites, c’est vous qui voyez !

Alors que Raphaël tournait les talons pour reprendre place devant son café, le jeune homme l’interpella :

– Vous êtes Raphaël Kaminker, n’est-ce pas ?

Raphaël ne se retourna pas, s’enfonça la tête dans les épaules ; c’est ce qu’il avait coutume de faire pour fuir une conversation et se faire tout petit. Arrivé devant sa table, il fouilla dans l’une de ses poches, en extirpa quelques pièces de monnaie qu’il déposa dans la sous-tasse, se souvenant avec exactitude du prix à payer. Son regard chercha la trottinette qui pourtant était là il n’y avait pas cinq minutes. Disparue ! Etrange.

L’autre le regardait faire :

– Vous ne mangez pas votre croissant ?

Sans répondre, sortant de sa perplexité, Raphaël prit l’assiette sur laquelle le reste de son petit-déjeuner reposait. En passant devant la table du jeune homme, il la lui donna.

– Ce n’est pas la peine, je suis au régime, mais je déteste voir la nourriture se perdre… Il changea de conversation : « J’aime bien ce que vous faites, j’ai d’ailleurs lu tous vos livres, il me semble. Pourtant, vous ne me retirerez pas de l’idée que là, présentement, sourire un peu ne vous ferait pas de mal… et à moi non plus… » Après une seconde de silence, il ajouta : « Bon d’accord, je ne vois pas le rapport, mais ça méritait d’être dit ! »

Sans répondre davantage à cette remarque, Raphaël boutonna sa veste en s’éloignant du café.

Il avait un côté vieux sage, à ceci près qu’il ne recherchait pas la sagesse. La solitude, quant à elle, s’était immiscée dans sa vie sans qu’il ne s’en rende compte, croyant la désirer, la rechercher. Avant tout, c’est la réalité qu’il fuyait, peut-être même la vie.

Il y avait ces silences, sortes d’absences. Il y avait tous ces mots qui n’arrivaient pas jusqu’à sa plume, lorsqu’il les recherchait tout au fond de son être, pour se faire narrateur de l’imaginaire. Il y avait toutes ces choses qu’il ne comprenait pas, qu’il ne comprenait plus. Un voile épais semblait recouvrir la réalité. Il croyait cependant vivre cette réalité, sa vie. Il croyait continuer le chemin qui le conduisait d’aujourd’hui à demain. Il rencontrerait de nouvelles personnes, peut-être même que l’une d’elle l’aimerait un jour. Alors, il en serait fini de sa solitude. Il en serait fini, probablement, des heures passées au-dessus de la colline, à attendre que se profile l’inspiration, à regarder passer la vie des autres, parce que l’existence des autres lui apportait plus que sa propre existence.

Raphaël continuait à avancer, dans un rêve, un cauchemar, dans la vie. Il ne voulait pas se poser la question. C’était un homme aux pieds puissamment scellés dans le bitume, juste un homme.

Raphaël de Bruno Rodriguez-Haney

Raphaël de Bruno Rodriguez-Haney

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